J'ai pas mal hésité avant de claquer 40 euros pour faire l'acquisition de ce CD doccasion, car absolument introuvable en neuf. Mais l'album jouit d'une solide réputation sur mon forum préféré ; en fait, il se nimbe d'une aura quasi-légendaire. D'autre part, j'ai eu la chance il y a longtemps de mettre la main sur les deux albums d'Ultramarine, sur lesquels apparaissent déjà Mario Canonge et Étienne Mbappé, en plus d'un de mes musiciens favoris, N'Guyên Lê. Deux galettes épastrouillantes, enregistrées au début des années 90, et qui offrent un jazz fougueux, dansant, syncopé et métissé de musiques caribéennes.

J'ai donc couru le risque, en me disant que j'avais de toute façon peu de chances d'être déçu. Le disque qui m'est parvenu n'avait apparemment jamais été écouté : encore sous cellophane, boîtier vierge de toute rayure et surface de lecture parfaite. Vendeur plus que consciencieux, pas d'arnaque. Je n'avais pas mis l'équivalent de quatre bouteilles de Hautes Côtes de Nuits (ou huit de Passetoutgrain) dans une galette bègue à rendre jalmince un Francis Perrin (« Portez une C-c-c-citizen ! »). Bon, et la musique ? me direz-vous.

« Satyagraha » est un mot créé par Gandhi en 1906, lors d'un séjour en Afrique du Sud où il s'était rendu pour protester contre une nouvelle loi discriminant la population d'origine indienne. Le terme désigne sa technique de lutte politique, basée sur la désobéissance civile et la non-violence, et pourrait se traduire par « poursuite de la vérité ». Le nom du groupe est un jeu de mot sur « chicotte », un fouet qui servait à punir les esclaves, notamment en Marinique d'où est originaire Mario Canonge.

Tout ceci nous annonce une musique plus grave, plus mature peut-être que celle enregistrée sept ans plus tôt. C'est notamment vrai du premier titre qui est mené par un saxo méditatif, mais qui reste assis sur un groove tout en souplesse, grâce surtout à Étienne (Mbappé) qui comme de juste le tient bien (le groove). On retrouve le métissage entre jazz, funk et rythmes des îles, mais tout ça en plus assis, moins fougueux. Ultramarine nous invitait à bouger les fesses sans retenue, là on a une musique qui invite d'avantage à penser, à se détendre, à rêver…

Puisque nous sommes entre adultes et puisqu'il nous faut parler sax, parlons-en sans fausse pudeur : Hervé Gourdikian en a un tout petit. Sans doute un soprano. Et moi, quand j'entends parler de sax, surtout soprano, le plus souvent je pars vite et je reviens tard. Et bien, sur ce coup, je suis parvenu à rester. Je ne suis pas connaisseur en matière de tuyaux dans lesquels on souffle, mais ce monsieur Gourdikian a un son très rond, très propre, très pur, reposant et aérien. Pas que j'ai une dent contre les sons plus échevelés à la John Coltrane, mais là, je trouve que ça sort du lot.

Au final ? Je les regrette pas mes quarante boules : voilà un bon mois que le CD est posé à côté de ma chaîne et que je l'écoute trois ou quatre fois par semaine : il y a plein de notes là-dedans et elles sont toutes bien agréables à entendre. C'est peut-être un peu tôt pour l'affirmer, mais je pense que celui-là viendra rejoindre ceux que j'écoute depuis longtemps et que j'écouterai encore pendant longtemps : les deux Ultramarine, Purple de Nguyên Lê, Abbey Road, Bitches Brew, Rock Bottom… et bien sûr l'intégrale de Pit et Rik. Satyagraha renferme sans doute assez de richesses pour que plsieurs années soient insuffisantes à toutes les épuiser.

La liste des gens qui font du bruit sur le disque :

Bass – Etienne Mbappé
Drums – Roger "Kemp" Biwandu
Piano, Keyboards – Mario Canonge
Saxophone – Hervé Gourdikian
Trumpet, Bugle – Stéphane Belmondo (tracks: 5, 6)
Alto Saxophone – Bobby Rangell (tracks: 5, 6)

De Satyagraha, je ne peux vous offrir que cet unique morceau déniché sur ToiTuyau.

Heureusement, vous pourrez vous consoler avec les deux album d'Ultramarine, disponibles sur Deezer, Deezer et quart, mais pas plus tard parce qu'après j'ai poney !

Chic et chaud !

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