Steve Hillage est un guitariste anglais né en 1951. Dès la fin des années 60, il rejoindra ce que l'on appelle l'école de Canterbury, nébuleuse fabuleuse qui a regroupé toute une floppée de musiciens atypiques comme Robert Wyatt, Kevin Ayers, Bill Bruford, Alan Holdsworth… qui se forment, se déforment, se croisent, se séparent, se recroisent et se coagulent sans cesse pour donner naissance à des groupes hors normes comme Caravan, Soft Machine, Matching Mole ou encore Gong (Gong que Steve Hillage rejoindra d'ailleurs en 1973 pour travailler sur Flying Teapot ; mais qui n'a pas joué avec Gong ?).

École de Canterbury - Wikipédia

L' école de Canterbury ( The Canterbury Scene ) regroupe plusieurs artistes et groupes de rock progressif et psychédélique britanniques de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Un premier groupe The Wilde Flowers se constitue en 1963, sur le campus de l' université de Canterbury.

http://wikipedia.org

Sans surprise, son premier album solo, Fish Rising sorti en 1975, emprunte largement par ses sonorités et le côté décousu de ses compositions à ce courant de Canterbury. On y retrouve d'ailleurs le batteur et percussioniste français Pierre Moerlen qui officiait alors au sein de Gong (mais qui n'a pas joué avec Gong ?). Mais celui-là, nous reviendrons prochainement sur son cas.

Coproduit avec Nick Mason (le batteur des Pink Floyd, qui apparaîtra d'ailleurs sur un titre) et sorti en 1978, Green est le quatrième album solo de Steve Hillage. J'ai toujours eu une tendresse particulière pour cette galette qu'un copain de fac m'a fait découvrir il y a déjà quelques années, en même temps qu'un million d'autres trucs du même tonneau.

En 1978, on est en plein cœur de l'épopée des Fous du son dont Laurent de Wilde nous expose si bien les péripéties dans son bouquin. Ces fous-là étaient alors nombreux dans les environs de Canterbury et Hillage est l'un d'entre eux, puisque pour Green il va largement expérimenter la guitare-synthé (tout comme le fera Alan Holdsworth, mais celui-là, nous reviendrons sur son cas). Plus tard, dans les années 80, le synthé devient plus facilement accessible, ce qui nous vaudra des palanquées de tubes FM insupportables, gavés d'électronique qui fait « pouit-pouit », parce qu'on avait rien à dire, mais que « pouit-pouit » ça faisait moderne.

Heureusement en 1978 les nuages qui annoncent cette décennie de totale inanité musicale sont encore assez loin sur l'horizon et avec Steve Hillage c'est un authentique musicien qui a mis la patte sur la technologie. Green est un album tout en subtilité et en minuscules détails où rien n'évolue jamais comme on s'y attendrait. La basse est très discrète dans le mix, voire carrément absente, ce qui crée une ambiance très légère et éthérée, façon brume de néon translucide flottant dans l'ionosphère. Pas de gros solo de guitare logorhéiques comme on en trouve trop souvent dans les album des six-cordiste, mais au contraire des grattes très légères et très discrètes qui entrent sur la pointe des cordes et prennent le temps de se mèler intimement à la texture sous-jacente. Puis tout est dit en une poignée de longues notes méditatives.

Je parle de "texture" et non d'accompagnement tant l'arrière plan est à la fois ténu et intriqué, un genre de mousse quantique dont jaillissent sans cesse de nouvelles particules éphémères. Les synthés sont utilisés pour générer des arpèges automatiques (du moins à ce qu'il me semble) ce qui est devenu une des tartes à la crème de l'usage de cet intrument. Mais là, on est loin des gros arpèges plan-plan qui marchaient au pas de l'oie dans les années 80. Hillage lui, comme un peintre en carrosserie superpose les couches légères, subtiles et ajourées pour tisser une sorte de voile fait de fils nanoscopiques d'or et de chrome. C'est beau et émouvant comme un collant en dentelle blanche.

On pourrait lui reprocher son ambiance un peu froide à cette galette. C'est vrai qu'en 1978 on est déjà pas mal éloigné du flower power et des orgies sonores dyonisiaques qui marquent la première période du Canterbury rock. Le « No Futur » commence à pointer le bout de son nez, et ici il est présent à sa façon avec l'évocation d'un univers mécanisé, informatisé, asseptisé. Pas de violon, pas de flûte, pas de bonne grosse basse joufflue. Rien de buccolique. Du chrome, de l'inox, de la céramique : Green aurait pu servir de bande-son à Ghost In The Shell et est l'album idéal pour accompagner la (re)lecture de la trilogie du Neuromancien.

Green Is The Color

Partager cet article